Ce 'hussard' illustre le style du roman d'aventures : une succession de péripéties sans lien direct entre elles ; n'était-ce l'idée générale : un jeune révolutionnaire piémontais rallie la Provence au moment des luttes italiennes pour l'Indépendance et tout de suite s'y trouve confronté, dans la région de Manosque, à une épouvantable épidémie de choléra. Mais chaque aventure est détachable de toutes les autres et, fût-elle supprimée du récit, elle ne lui manquerait pas : il continuerait -comme le héros, le très romantique Angelo- son bonhomme de chemin. C'est bien d'aventures dont il s'agit : un vrai longrider les enchaîne sans vrai souci du lendemain ; seules lui plaisent les émotions renouvelées et le coureur des bois, des mers, le chercheur d'or, etc. ne cherchent jamais qu'une sucession de giclées d'adrénaline.
Angelo est servi : il va de spectacles horribles (multitudes de cadavres et de morts épouvantables) en tableaux atroces (amoncellements de corps dévorés par les bêtes et de vivants expirants dans d'ignobles convulsions, souillés d'une bave épaisse qui ressemble à du lait caillé). Pourtant, il n'en éprouve aucune émotion particulière. Il est vrai que les descriptions faites par Giono ne traduisent pas l'horreur de tels spectacles quand une seule photo de morts dans un camp de concentration soulève le coeur. Giono l'épicurien a-t-il -un peu- manqué sa cible ou bien l'hédoniste Giono ne veut-il pas voir la mort en face ? Mais alors, pourquoi tant la décrire ? Ou alors, a-t-il dépeint son Angelo comme un prince de la jeunesse, si insouciant que les ignominies de la vie le laissent froid ?
On ignore d'ailleurs pourquoi ce jeune colonel est en France (il semble que ses camarades de combat italiens l'aient un peu exilé à la suite d'un duel où il a tué mais qu'il aurait pu éviter) ; d'autant qu'après avoir retrouvé son contact, il doit rentrer en Italie.
Même ses relations avec la belle Pauline de Théus sont empreintes d'ambiguïté : il chemine avec elle dans la région dévastée sans que ni lui ni elle ne songent même à autre chose qu'à se vouvoyer. Il est vrai qu'elle est mariée de son côté mais, au vrai, qu'est-ce que cela vaut ? Leur seule intimité sera les soins qu'il lui prodiguera quand, vers la fin du livre, elle est atteinte d'une attaque de choléra : il la déshabille (enfin !) et, encore, pas complétement, pour la frictionner et il la sauve. Elle le tutoiera durant les quelques jours qui suivent mais lui continue à la vouvoyer. Ses paroles à elle seront pleines de tendresse ; les siennes sont celles d'un boy scout. Elle portera pour lui une belle robe mais lui ne songe qu'à acheter un cheval pour rentrer se battre en Italie... Un curieux personnage, vous dit-on. Et, de nos jours, cela ne se serait pas passé ainsi.